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Monday, January 17, 2011

Notre passé et notre présent au travers d'un miroir : récit d'un exercice de CP3D en Éthiopie

La senteur de cuir qui émanait du lieu de la manifestation n'était que la confirmation du fait que nous étions au cœur de l'Éthiopie rurale, dans un village du nom de Telecho, à quelques 30 kilomètres au nord d'Holeta. Nous venions de nous réunir avec 20 délégués en provenance d'Éthiopie, du Kenya, de Tanzanie, d'Afrique du Sud, d'Ouganda, du Cameroun et du Bénin pour co-animer un exercice de cartographie participative mis en œuvre par plus de 130 villageois originaires de 28 kebeles situés autour d'une montagne connue sous le nom de Foata.

L'exercice, organisé par l'ONG nationale MELCA-Ethiopia avec l'appui du Centre technique de coopération agricole et rurale ACP-UE (CTA), constituait la réponse à un appel à l'aide de la communauté, qui souhaitait réhabiliter son environnement après plusieurs décennies de déforestation et de dégradation importante des sols. Après plusieurs mois de préparation, l'exercice s'est déroulé du 8 au 18 décembre 2010 dans le village de Telecho, au milieu d'un paysage doré riche en blé, en teff et en seigle mûrs et entrecoupé de bandes foncées de terre labourée et de tissus de sols exposés au soleil.


Cartographie pour le changement. Expérience des agriculteurs dans la zone rurale d’Oromiya, Éthiopie from CTA on Vimeo.

Près de 140 personnes ont travaillé en équipes sur la maquette qui couvre une surface rurale totale de 672 km², à l'échelle 1:10,000, y compris des portions de quatre woredas : Welmera, Ejere, Adea berga et Mulo. Assistés par les formateurs, 14 étudiants, trois enseignants et les délégués étrangers (les stagiaires) ont élaboré la maquette vierge. Environ 110 anciens, représentants de 28 kebeles, ont contribué par groupes à l'élaboration de la légende de la carte et au report de leurs cartes mentales sur la maquette. Un certain nombre de représentants d'entités du gouvernement local ont également participé à l'exercice.

L'assemblage de la maquette vierge avec des plaques de carton de 3 mm d'épaisseur mesurant 2,8 m x 2,4 m a pris trois jours et la description du paysage et la localisation des caractéristiques pertinentes pour la communauté, six jours supplémentaires.

Certains anciens ont présenté le projet de légende au premier groupe de participants qui l'ont vérifiée et enrichie par de nouveaux éléments et leurs descripteurs. Une fois terminé, le modèle comprenait 48 couches d'informations, dont 25 types de point, 5 types de ligne et 18 types de zone. Un calcul du nombre de points de données réalisé au terme de l'exercice a révélé que la zone comptait 38 écoles, 23 postes de santé, 113 arbres sacrés, 8 marchés, 861 villages et bien plus encore.

Pour ce qui est du processus, les villageois du premier groupe ont expliqué la tâche au deuxième groupe et celui-ci a fait de même pour le troisième groupe. Cette méthode a permis le transfert de la maîtrise de l'ensemble du processus des animateurs, qui ont lancé la formation, vers les détenteurs du savoir local, qui ont fièrement présenté leurs résultats à l'ensemble de la communauté et aux représentants gouvernementaux le jour de l'inauguration et de la cérémonie de clôture. Les villageois ont œuvré avec beaucoup d'attention et de passion en décrivant le paysage de leurs woredas. Des discussions, des échanges et des négociations animées ont caractérisé le processus, auquel ont participé des hommes (en majorité) et des femmes. Les activités débutaient par des danses traditionnelles le matin et le travail se poursuivait jusqu'à la nuit tombée, à la lumière d'un générateur.

Un taureau a été abattu en prévision de la cérémonie de clôture qui s'est déroulée le 18 décembre 2010. Cet événement a été l'apothéose d'un processus où des anciens (homme et femmes) ont présenté la légende et les informations contenues dans la maquette 3D et décrit le processus qui a sous-tendu sa production. Le public était composé d'environ 300 villageois originaires de 28 woredas, de représentants du parlement, du gouvernement local, du CTA, de l'ambassade finnoise et de délégués d'ONG et d'universités de 9 pays africains.

Au cours des diverses phases d'élaboration de la maquette, les participants ont pu s'exprimer et écrire leur ressenti sur le processus au travers des « murs de la démocratie ». Les murs de la démocratie sont de grandes feuilles de papier intitulées « J'ai remarqué », « J'ai appris », « J'ai découvert », « J'ai senti », « Je voudrais suggérer », sur lesquelles les participants peuvent coller des feuilles A5 où ils inscrivent un commentaire lié à l'intitulé et concernant le processus. De plus, une équipe média professionnelle a documenté le processus et mené des entretiens, tandis qu'un groupe de jeunes a été formé et a participé à la production d'une vidéo participative (VP).

Les villageois participants ont rapporté que le travail sur la maquette avait réveillé en eux des souvenirs de paysages passés de forêts luxuriantes et de cours d'eau permanents, ce qui leur a permis de réaliser combien la transformation de l'habitat naturel avait eu un impact (négatif) sur leur vie. Les participants ont affirmé que grâce à un processus d'introspection, ils ont compris que leur exploitation non durable des ressources avait entraîné l'appauvrissement des sols et une baisse des rendements agricoles, et que la situation actuelle menaçait leur moyens d'existence et même leur subsistance. Ils ont ajouté que le processus d'élaboration du modèle créait un cadre d'apprentissage et leur donnait le sentiment d'avoir un but. « Le processus CP3D permet à la communauté de se regarder en utilisant le modèle comme miroir », a écrit un villageois sur une carte collée sur les « Murs de la démocratie ».

Voici des exemples de commentaires écrits par les villageois (en amharic) alors qu'ils travaillaient sur la maquette :

« Je sentais que - avec la destruction des ressources naturelles dans notre environnement - nous avons perdu la terre, la forêt, les animaux sauvages et bien plus encore. Cela nous porte préjudice et pose des problèmes aux générations futures. »

« Je sentais que nous pouvions comparer ce que nous avions fait sur la carte avec ce qui existait par le passé [dans la réalité], et cela clarifie ce qu'il faut faire à l'avenir. »

« J'ai remarqué qu'il [le processus] m'aidait à comprendre l'importance de la participation. J'ai également réalisé que la communauté disposait d'un savoir précieux dont nous n'avions pas conscience. »

« J'ai remarqué que le processus CP3D permet à la communauté de se regarder en utilisant le modèle comme miroir. Il renforce les capacités et c'est important pour le développement du pays. » (Source : Murs de la démocratie, Telecho, 17 décembre 2010)

La grande réunion du 18 décembre a renforcé le message car les villageois impliqués dans la cartographie ont partagé leurs réalisations, développé leur conscientisation et exprimé davantage de déclarations d'intention. La présence de représentants du gouvernement, quelque peu abasourdis à la vue du modèle lors de son dévoilement, a été fort appréciée des membres de la communauté et a renforcé leur sentiment d'être considérés et écoutés dans leur engagement de collaboration pour un meilleur avenir. Dans ce contexte, les villageois ont décidé d'organiser une réunion avec un public plus large afin d'examiner un ensemble d'actions qui contribuerait à réhabiliter leurs terres victimes de dégradations.

Quelques jours après la fin de l'exercice, l'ambassade finnoise a octroyé une aide financière supplémentaire à la MELCA en vue de mettre sur pied des activités de suivi portant sur la réhabilitation de l'environnement dans la région concernée par le projet. La maquette 3D jouera un rôle important dans cette partie du processus car il représente le référentiel le plus actualisé et pertinent regroupant des informations sur l'espace local ainsi qu'un outil de planification facile à maîtriser par les villageois, puisqu'il est parfaitement compris et approuvé par la population locale.

Enfin, point très encourageant, les stagiaires nationaux et internationaux ont manifesté leur intention de réitérer le processus dans leur région.

Auteurs : Giacomo Rambaldi / CTA et Million Belay MELCA-Ethiopia

Version anglaise